commentaires

désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

dimanche, octobre 31, 2010

Journal de lectures – pillage – longuet et approximatif

Samedi, en sympathie minable avec les grosses pluies et orages des contrées voisines, Gard et Lozère (si j'en juge par ce qu'annonçait la radio) : un peu de vent, assez pour renverser régulièrement certains de mes pots, et humidité constante entre suspension et chute paresseuse. Assez plat et neutre temps pour que la poutre sculptée que j'avais voulu fixer, en tenant maladroitement mon appareil, et déclenchant malaisément, gênée par les vêtements sous plastiques et le sac de linge que je trimbalais reste pudiquement invisible dans l'approfondissement de l'ombre, effacée.

M'est venue l'envie de me résumer mes dernières lectures.

Après avoir refermé Kawabata, j'ai repris, parce que j'avais aimé ma première lecture, «un fait divers» de François Bon.

Redonner vie à un fait divers. En place d'un scénario auquel il renonce une suite de monologues. Par la voix de chaque protagoniste, l'homme, la femme, l'amie, le compagnon de cette dernière, l'inspecteur de police, un acteur, le metteur en scène du film projeté à partir de cette histoire, voix intérieures avec la distance nécessaire à la profération sur un plateau, se trouvent redits l'action, le passé, et même ce qui a suivi, et ce qu'est le monde, la société où cela a lieu.

« L'homme. : La mort marchait avec moi, j'étais entré avec la mort et ce n'est pas un choix qu'un homme décide la tête claire, plutôt une ombre noire indistincte qui s'interposait à mesure des heures passées entre mes yeux et mes mains, et leurs yeux et leurs main »

« L'amie. : Elle lui avait tout donné, sans réserve. Et lorsqu'il a réouvert la paume, que le sable est tombé, d'elle il n'y avait plus rien. De ce qu'elle avait tenu pour le plus fragile et secret de ses possessions tout avait été touché et fripé, gaspillé. Elle-même ce sac de peau vide sur un coin de ciment, sans souffle, incapable même de se saisir d'un secours qu'on lui offre. »

« Inspecteur. : Bien sûr nous avions (avant même d'être sur place) convoqué les secours d'urgence, et bien sûr c'était visiblement trop tard. C'est la loi ordinaire de notre métier, et ce à quoi nous sommes formés, que de pénétrer ainsi, comme on doit dans les premières minutes débrouiller les personnages principaux d'un film de la scène par quoi il s'ouvre, les liens forts ou ténus, administratifs ou hasardeux, qui relient cinq êtres qu'on découvre comme par une fenêtre brutalement ouverte, où démesurément ils sont grossis, et comme maintenant figés par le temps paralysé. »

J'ai la chance d'avoir si peu lu pendant des années, en dehors d'un mélange polars anglais de dames, 18ème siècles, correspondances, Hugo, Balzac et uniquement, ou presque, Sarraute, Beckett, Simon pus Platon, sans le comprendre le plus souvent, comme une manie, sans vraiment lire, dans le métro. Et ça me permet de découvrir comme neufs des livres déjà anciens, comme « Nous trois » d'Echenoz, dévoré en prenant le temps de savourer, en un peu plus d'une soirée.

Et ce que j'ai noté n'est bien sûr, pas plus que pour les autres, pas forcément pertinent, trace de ma façon de le recevoir à ce moment là, avec mes moyens.

Pour qu'on ne puisse en faire film, pour qu'on ne puisse dire que le roman français ne s'attaque pas à décrire autre chose que la vie ordinaire, l'intimité, une bourgeoisie éternelle en ses variations, on a droit à une tempête de sable, un tremblement de terre, un tsunami, une expédition spatiale, et dans un coin à un animal familier énigmatique. Pour que rien ne pèse, ou ne s'affirme comme important, les phrases pratiquent la désinvolture, le coq à l'âne, les chûtes ironiques. Pour fuir l'identification, la rendre impossible, il y a un "je" absent des 5/6ème, environ, du texte. Et c'est régal.

« Sur les voies combles de l'autoroute, les conducteurs semblaient tendus comme si tout était au bord d'exploser ; freinant pour mieux saisir les points forts du spectacle, ils créaient un de ces embouteillages exubérants, fébriles, rayonnants d'imprécations et de klaxons, d'appels de phares, boîtes de vitesse craquantes et pare-brise étoilés, pare-chocs meurtris dans le rugissement des cylindres en cage. Meyer prit le parti de rouler sur la file de droite, craignant l'hostile vivacité des usagers qui allaient finir par s'apaiser, progressivement, au fil des kilomètres. »

« Ensuite il est prouvé qu'on s'embrasse très souvent dans les cuisines, pendant ce genre de soirées - des baisers enflammés se brûlent au fourneau, collent au frigo, basculent dans l'évier, c'est vérifié. On improvise dans les cuisines de petits baisers sur le pouce que l'on consommera debout, sans apprêt, mais on peut également s'en mitonner d'interminables, étreintes en long métrage qu'on savoure en prenant son temps. D'ordinaire on dispose ensuite ces baisers sur un plateau qu'on emporte en vitesse dans une chambre ou quelque autre lieu clos, retiré, pour les goûter plus à son aise et s'en gaver.. »

« La ménagerie va se déchaîner sept minutes après, quand c'est au réservoir externe d'être largué : crabe et mammouth bondissent de joie pour saluer sa désintégration dans l'éther, sa chute en pluie fine sur la mer. Meyer ne retrouve plus la force d'ouvrir les yeux ; sous ses paupières closes la pression fait naître des myriades de phosphènes aux tons vifs, des étoiles éclatées, des croix stroboscopiques et des croissants pyrotechniques sur fond d'escaliers et damiers. »

et cette fin

« Cinq heures et demie. Titov hurle à la mort. Je repasse dans le living, l'eau ruisselle sur les vitres de la porte-fenêtre. Tout à l'heure c'était une eau claire, une pluie classique plutôt rafraîchissante et maintenant elle paraît se troubler, se précipiter dans l'opaque. D'abord légèrement ocre, elle fonce de plus en plus et vire bientôt, je n'ai jamais vu ça, au rose foncé puis au brun rougeâtre. Au bout d'un moment, vous diriez du sang.«

Vendredi, Publie.net a lancé un bouquet de trois courts textes de Régis Jauffret, et j'en ai lu deux dans l'après-midi (le dernier, qui a été le plus souvent cité samedi sur twitter, je vais le lire samedi soir, après cette recension), en commençant par «Week-end familial à Clichy-sur-mer » (pour présentation, premières pages, achat éventuel http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503731/week-end-familial-à-clichy-sur-mer )

En quelques pages on évolue d'une caricature savoureuse, d'une fable critique, avec juste la touche d'exagération qui rend évident, tout en nous évitant le contact désagréable avec la réalité dont nous sommes en partie responsables, à une réflexion désenchantée.
Le tout écrit avec une fermeté claire, le ton que pourrait avoir ce vieil écrivain couronné qui est le scripteur.

« Quand je me suis installé, Clichy n’était pas encore un lieu de villégiature, et les commissaires-priseurs bradaient la ville lors de ventes aux enchères qui attiraient artistes et publicitaires désireux d’acquérir un lieu de vie plus spacieux que leurs lofts étriqués de la Bastille. Les pauvres étaient devenus trop nombreux, et comme on était lassé de les stocker aux alentours de la capitale, on avait décidé de les exporter dans un pays du tiers monde, où fondus dans une population encore plus misérable, ils ont pu goûter de la malnutrition et du cannibalisme qui lui est conséquent. »

«- Pour ce que tu écris.


- N’empêche, que j’ai encore eu un prix l’an dernier.


- Ne la ramène pas.


- Le prix Bombel.


- Le prix Nobel, papa. Et puis, ça suffit, maintenant. Mange ta compote d’araignées au thé d’écrevisse. »

« Ces gens comme des exutoires, des mutants au dos immenses, qui devaient porter comme des bourriques toutes les poubelles de la Nation. Cette ville sans ville, cette architecture méprisante, cette architecture comme une insulte. Clichy, bâtie au fond d'une impasse, au fond d'un couloir »

« Pourtant, je n’étais pas des mots, je n’étais pas des phrases. Mon cœur n’était pas une pompe qui pulsait l’alphabet. Ne vous souvenez pas de moi comme d’un paragraphe.»

et puis, et en vieille dame réservée, j'ai eu une seconde d'hésitation : « la tentation du clitoris »,http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503717/la-tentation-du-clitoris, monologue crié, revendications, un discours cru plutôt qu'érotique, mêlant une charge contre les mâles, l'aliénation par le travail, un peu aussi par les diktats de la presse féminine, et des féministes. La voix, à travers cela, d'une femme avec ses désirs (pas uniquement physiques), ses limites, sa part d'animalité revendiquée. Un humour dru, allègre.

En choisissant du quasi chaste

« Je veux bien m’accommoder des conditions matérielles de mon existence, mais l’orgasme n’est pas négociable, c’est un droit et un devoir à la fois, si je ne l’atteins pas au-delà du médiocre je serai coupable moi aussi et je continuerai à développer des maladies opportunistes dont mon apparence fera un jour les frais au risque de repousser les derniers amants susceptibles de me grimper comme n’importe quelle jument sauvage, n’importe quelle chatte de gouttière, n’importe quelle humaine en somme, puisque nous sommes pourvues des mêmes organes sensibles comme les boyaux tendus à l’extrême d’un Stradivarius «

« afin de faire de moi un vrai mâle, un de ces êtres qui n’a d’ordinaire guère de problème d’orgasme, et qui par rapport à la femme est bien fruste, bien tranquille dans son cerveau tiré au cordeau, avec ses fantasmes répertoriés, au nombre de douze, treize dans le cas bien rare où il est un phénix, »

« Apaisées, nous ne perdrions plus notre existence à chercher à nous mettre dans tous nos états pour éprouver autre chose que la joie modeste et suffisante de se sentir vivante, nous n’habiterions alors plus que notre cerveau, redécouvrant cet organe délaissé, en ruine, et pourtant si riche en cellules, en possibilités de connexions, nous nous adonnerions avec délices à la pensée, à la réflexion, à l’invention de mondes nouveaux si nombreux, si incalculables, que nous les oublierions au fur et à mesure de leur apparition, »

Et puis, promis c'est fini, même si j'ai lu de bien belles choses sur des site et blogs, le plaisir, attendu et au rendez-vous, de « la mort d'un jardinier » de Lucien Suel (j'avais attendu qu'il paraisse en livre de poche)

Roman de poète - un flux à l'organisation souterraine, avec pour séparer, sans vraiment séparer, les petits blocs, la virgule, puis le point virgule comme une petite rupture dans l'inflexion, puis le court chapitre pour repartir sur autre piste. La saveur et la dureté du travail du jardin, et à partir du moment où le jardinier, après sa crise cardiaque, git, seul, dans son jardin, le flux des instants de sa vie, des gens, époques, sensations, amitiés, l'amour toujours de celle qui fut trouvée, les parfums, le corps, les saveurs, la nature, les villes et il y a Amsterdam, l'Inde etc... sans ordre chronologique, au fil des idées, des associations, et les livres, tous les livres qui sont le jardin. Et pour le lecteur une dégustation nourrie et charpentée.

« tu as beaucoup travaillé, le jardin n'existait plus, abandonné depuis des dizaines d'années, juste quelques mètres carrés de chiendent de chardon et d'orties cernés par la profusion des arbustes plantés par les oiseaux, aubépines aux longs couteaux pointus pics à glace dirigés vers tes yeux, prunelliers encastrés les uns dans les autres, églantiers et ronces entortillés autour des troncs, dégringolant du ciel, t'enfonçant des épines dans la tête, "ecce homo", tu t'échines tu t'esquintes tu frappes et coupes et creuses et arraches et scies et brûles et déchiquettes pendant des jours et des jours, t'écroulant sur le dos dans la terre mise au jour, la sueur ruisselle traçant des lignes noires dans la poussière qui recouvre ta poitrine, ton coeur cogne ton coeur cogne, la sueur tombe dans la terre sur le corps des fourmis, tes muscles sont brûlants, »

« les premier à sortir sont toujours les mêmes, navets et radis, deux petites feuilles arrondies, cotylédons fragiles qui étaient embryonnaires dans le ventre de la graine ronde, ils commencent déjà à transformer la lumière en chlorophylle, filtrant le carbone de l'air tandis que le fil blanc de leur racine se glisse s'allonge vers le bas dans l'humus entre les déchets organiques et les agglomérats terreux, tu repères aussi la sortie au jour des laitues et des épinards, les tiges dressées des bébés poireaux et oignons, lignes de cheveux verts hérissés entre la pourpre des betteraves et les papillons petits pois »

« le couvercle de la lessiveuse galvanisée se soulève rythmiquement comme si le linge respirait à pleins poumons dans l'eau savonneuse, les corbeaux font des taches noires sur la neige des champs, tu les vois aussi à Amsterdam dans le musée Van Gogh hurlant au dessus des blés mûrs, tes yeux se mouillent, tes oreilles gelées roulent sous tes doigts qui tâtent, soulèvent les croûtes séchées, tu t'approches du grand miroir de la garde-robe en titubant sur des escarpins trop grands pour toi, les plombs sautent, la platine soulevée de la cuisinière à charbon projette des ombres effrayantes, les chandelles fondent lentement empalées sur les piques du plateau circulaire, flammes agitées par les courants d'air sous le porche »

« tu tournes très lentement sur toi-même sous la cascade bienfaisante, petit à petit toujours en tournant, tu plies les jambes, tu t'accroupis jusqu'à ce que l'eau t'arrive aux épaules, puis tu te détends complètement jusqu'à t'asseoir sur le fond du bassin, à ce moment l'eau monte jusqu'à ton menton, pris d'une impulsion subite tu te laisses glisser, tu t'allonges sur le dos au fond de l'eau les yeux grands ouverts, tu vois la cascade descendre vers toi dans un nuage de bulles. »

« tu n'en peux plus de cette douceur de cette violence, tu te cuirasses, tu ne contrôles rien, tu t'écoules dans le flot du temps, la musique s'éloigne, tu revois l'enfant vêtu d'une aube blanche, il a les yeux bleus et les cheveux blonds, il ressemble à Thomas, il ne dit rien, se tient près de toi, le rouge-gorge s'est posé sur son épaule, une autre silhouette se tient près de lui, c'est ton amour qui te regardes »

9 commentaires:

Lautreje a dit…

plaisir de retrouver Jean Echenoz, belle découverte pour Lucien Suel et puisqu'il est en poche... Beau grand dimanche Brigetoun !

gilda a dit…

Quelle bonne idée que d'avoir évoqué ce Échenoz-là : je ne crois pas l'avoir lu, je ne crois pas.

MATHILDE PRIMAVERA a dit…

Les plantes renversées font pitié à voir, mais quelle jolie photo !

joye a dit…

J'aaaaaaaaaaaaaaaaaime quand tu fais ton Viking, brige, quel monde que tu possèdes !

(pas trop penché pour les aventures de clitoris, je comprends mal les gens qui veulent imposer leur sexualité à eux sur les autres, un peu comme le vieillard en imper crade en face de l'école élémentaire qui étale sa marchandise comme si tout un chacun en avait envie)

Brigetoun a dit…

moi non plus, mais justement là il n'y a pas prêche, mais humour et assez ambivalant dans la colère

Gérard a dit…

Je ne la ramène pas pourtant j'ai eu aussi un prix cette semaine "coup de cœur du Jury "..pour l'amour en cage.

Brigetoun a dit…

hautement mérité

jeandler a dit…

Superbe texte du jardinier

Encore une journée de déluge! Le ciel avignonais est bien capricieux et voici tes plantes cul par dessu tête à panser leurs plaies...

arletteart a dit…

Relire un livre oublié dans une vieille maison de vacances quand gronde la pluie sans pouvoir sortir est un plaisir retrouvé souvent meilleur que celui emporté "qu'il faut lire absolument"