commentaires

désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

mercredi, décembre 21, 2011

Breton, Aragon et Doucet, quelques moments (peu et trop long)

Suis sortie pour courses élémentaires dans ma rue, ai trouvé que le temps était déjà bien trop frais et désagréable pour moi, ai décidé de profiter de mon privilège d'oisive et de mes provisions, et me suis plongée dans le livre d'Edouard Graham « les écrivains de Jacques Doucet », d'où l'envie - tant pis pour vous, pouvez sauter, et repasser demain si vous le voulez bien - de reprendre certaines des lettres en fac-similé (que ne puis arriver à photographier correctement avec mon petit appareil)... pardonnez-moi au nom du temps passé à déchiffrer, à constater que les copier directement sur l'ordinateur (il faudra tout de même que je cherche un jour un remède à l'obscurité qui règne autour de lui) c'était mission impossible, à les retranscrire de ma mauvaise écriture installée comme pouvais dans l'endroit le plus éclairé de l'antre, et à me déchiffrer ensuite.

Or donc, après l' époque de mon cher Suarès qui a introduit le début du siècle, le virage pour sortir du 19ème avec Gide, Valéry, Cendrars, Max Jacob, Reverdy, Salmon etc... l'arrivée de Breton et puis, amené par lui, d'Aragon :

« Une année de romans

(juillet 1922 – août 1923)

à Monsieur Jacques Doucet

Qui suis-je, Monsieur, que vous me demandiez avis des romans qui menèrent rumeur une année durant et que je vous réponde ? Ni élève ni professeur. Mais sans doute un être vivant puisque voici vingt-six ans que je dors, prêt à parler de tout sans légèreté, comme ces bavards qu'on rencontre dans les lieux publics, les tramways, et qui commentent avidement leur journal. Je n'ai des romans après tout qu'une idée ni très haute ni bien définie. Mais sans doute si l'on me trouve difficile, est-ce que j'ai de moi-même cette idée que je n'ai point d'eux. « ouvrage fabuleux composé d'après les plus singulières aventures de la vie des hommes », voilà le roman pour Sade, et je ne vois rien à y redire, ni à y ajouter. Il n'est pas de mon naturel de discuter de la nature des choses. On a tenu pour une grande invention humaine cette forme de fiction, dont le développement récent en Europe a donné tout à coup une activité fiévreuse aux écrivains de métier. Il ne m'appartient ni de la dépriser, ni de la défendre. Dans tout ce que je lis, l'instinct me porte trop vivement à rechercher l'auteur, et à le trouver ; à l'envisager écrivant, à écouter ce qu'il dit, non ce qu'il conte ; parce qu'en définitive je trouve infimes les distinctions que l'on fait entre les genres littéraires, poésie, roman, philosophie, maximes, tout m'est également parole. Habitués à ces distinctions nos contemporains sont déroutés par tout ce qui y déroge, mais les écoliers de l'avenir, baillant aux mouches, n'imagineront qu'avec peine et par respect de leurs maîtres qu'on classe dans deux casiers différents Vauvenargue, et La Terre (?) par exemple. Ils y verront une subtilité pédagogique, de laquelle ils riront entre eux.

On comprendra que je sois insensible aux petites révolutions, aux petites modes qui naissent au cours d'une année de succès de telle forme romanesque. On a vu pendant ces derniers lustres ce que c'était aujourd'hui que le succès. Pierre Benoit et Louis Hémon. Il me faudrait bien de la perversité pour m'attarder à de pareils cas. Mais quels étaient à tout prendre à la fin de l'été 1922, les antécédents immédiats du roman français ? Depuis le roman symboliste, qui naît avec Huysmans et meurt avec Gide, que s'était-il produit ? D'abord les naturalistes avaient fait de nouvelles recrues et en 1022, le grand succès qui fut aussi le grand scandale aller à La Garçonne de Victor Margueritte, roman bien décrié, mais que j'estime (un mot caviardé).... »

Aragon recruté au début de 1922, après l'abandon de ses études de médecine - « Je n'avais pas de quoi manger quand André Breton a persuadé son patron de m'engager » (« Aragon parle avec Dominique Arban » Seghers 1968) – comme bibliothécaire et conseiller littéraire, commentant, et critiquant souvent, les manuscrit et lettres achetés par Jacques Doucet (Cocteau : « Figurez-vous que Mr. Doucet commande à L.Aragon des préfaces ordurières et les fait relier avec nos manuscrits qu'il achète » - lettre datée de Chantilly 6 février 1923 vendue chez Sotheby's en mai 2011). Doucet qui soutient, commande parfois ses oeuvres, aide les revues de Breton et Aragon - le rappel de leurs rapports, échanges, etc... est assez passionnant.

Cela finit par la rupture, à l'initiative d'Aragon semble-t-il, en 1927, et à une lettre de onze feuillets

« … Vous me demandiez un papier exposant l'état du surréalisme, de ceux qui le composent, des dissidents, des raisons des dissidences et des exclusions. Tous ces mots sous diverses réserves de ma part. Et simplement, parce que cela pur vous est naturel, vous ajoutiez : sans y mêler la politique. Eh bien, tel est aujourd'hui mon état d'esprit, que, sous peine d'un assez malhonnête petit jeu de cache-cache, cet exposé soumis à une telle restriction se réduirait à une page blanche.. » (et là Brigetoun repense à la grande exposition organisée à Pompidou en 2002)

« La position que j'ai prise politiquement, et que ce texte vous interdit désormais d'ignorer vous rend sans doute ma fréquentation impossible, impossible l'utilisation de mes facultés pour l'enrichissement de votre bibliothèque qui m'apparaît aujourd'hui comme une chose absolument insensée puisqu'elle ne contient ni Babeuf, ni Blanqui, ni Marx, ni Engels, ni Lénine, ni Trosky, etc. et leur préfère n'importe quelle anodine insanité littéraire parue dans ces dernières années. » joli "oubli" de la part qu'il a prise à la constitution de ladite bibliothèque.

Et voilà que moi qui, vertueusement, voulait me limiter à Aragon et Breton, et à une faible partie de ce qui les concerne, je réalise que trop longue étais sur le premier.

Tout de même dire que plus riche et complète fût la relation avec André Breton.. et puis ne pas résister à cette sage écriture et, tant pis, ajouter ce début d'une lettre, au début de leurs relations :

Mardi 4 janvier 1921

Monsieur,

« vos lettres peuvent me faire moralement un grand bien. Je suis trop touché de l'intérêt que vous me témoignez (après tant de déceptions sans doute) pour ne pas vous dire deux fois merci. J'éprouve le désir de me livrer à vous ; vous verrez un jour que je suis bien incapable de calcul et qu'en vous écrivant comme je le fais je ne me borne pas à exécuter un traité. J'ai oublié de vous dire que j'avais près vingt-cinq ans (quatre ans et demie de guerre comme brancardier, puis comme médecin auxiliaire).

C'est à Nantes où, au début de l'année 1916, j'étais mobilisé comme interne au centre de neurologie, que (rature) je fis la connaissance de Jacques Vaché. Il se trouvait en traitement de l'hôpital de la rue du Boccage (pas certaine de ma lecture) pour une blessure au mollet. D'un an plus âgé que moi, c'était un jeune-homme aux cheveux roux, très élégant, qui avait suivi les cours de M. Luc-Olivier Merson à l'école des Beaux-Arts... » et il exprime sa dette envers Vaché.

Et puis, parce qu'il ne s'est pas borné au rôle de conseiller littéraire, une lettre, sur papier à en tête de La Révolution Surréaliste :

Paris le 12 décembre 1924

Cher Monsieur

« auriez-vous le moindre doute sur le jugement que je porte sur « les Demoiselles d'Avignon » ? cela me paraît impossible, après mes précédentes déclarations. Mais je comprends qu'il vous paraisse désirable de voir fixer par écrit la place à laquelle ce tableau a droit dans toute l'histoire artistique moderne. Sans lui, je vous l'ai dit maintes fois, il n'est, à mon sens, aucun moyen de représenter aujourd'hui l'état de notre civilisation sous cet angle particulier, et cet angle est de ceux que l'on peut le moins négliger. Tout en accordant d'une façon générale, la prééminence aux recherches poétiques quand il s'agit de déterminer les directions d'une époque, je ne puis m'empêcher de voir dans « Les Demoiselles d'Avignon » l'événement capital du début du XX° siècle. Voilà la tableau qu'on promènerait, comme autrefois la Vierge de Cimabue, à travers les rues de notre capitale, si le scepticisme ne l'emportait pas.... »

lettre par laquelle il persuada Doucet d'acheter le tableau, comme « le bocal de poissons » de Matisse, des Derain, etc....... ce qu'il ne pût obtenir pour le rouleau manuscrit des « 120 journées de Sodome ».

Pardon imploré.

Pendant que je le dédaignais ainsi, le temps s'est amélioré... j'espère qu'il maintiendra son effort aujourd'hui.

6 commentaires:

Pierre R. Chantelois a dit…

Quelle fascinante tranche de l'histoire de l'art français. Revoir notamment et ainsi ces relations et cette rupture entre Aragon et Breton est d'une grande, d'une très grande évocation dans nos esprits. Excellente initiative qui n'a de longueur que la force de son intérêt.

Dominique Hasselmann a dit…

Toujours agréable et prenant de lire ces lettres : leur style (Aragon fit un "traité" portant ce mot) démontre quels stylistes ils étaient, seront et resteront.

André Breton lia une réelle amitié avec Trotsky et ses photos avec lui au Mexique (ainsi qu'avec le peintre Diego Rivera, attention à la photo, ce n'est pas Frida Kahlo !) en gardent témoignage.

jeandler a dit…

Une tranche d'histoire littéraire qui fut simptueuse sinon somptuaire.
Nonobstant le passage à l'automatique, une belle leçon d'écriture

mel13 a dit…

merci pour cette transcription avec nous partagée... me viennent les mots "une ardente patience" pour ce travail

Gérard Méry a dit…

Les demoiselles d'Avignon sont aussi honorables que les filles de La Rochelle...

Thaelm a dit…

Entrer dans l'écriture de ceux qui y prenaient le temps et la déroulaient en une trace qui parlait d'eux presque autant que leurs mots
est un délice.
Merci.