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désolée, Paumée se veut à l'abri, sauf quand un acte fait déborder le vase, des allusions à la politique ambiante.. et si je suis reconnaissante aux envies de commenter je vous demande de me pardonner de rétablir la modération

mercredi, septembre 19, 2012

En dérive (long et sans grand intérêt, sauf pour moi, je suppose)


Dans la petite pile de livres qui m'attendent, dans lesquels je recommence à me plonger, entre lesquels j'ai difficulté à faire choix, il y en a deux que je lis par fragments, sans remords, pour les goûter davantage, et je finis mes journées avec, avant de m'endormir, quelques pages des carnets 2001-2010 de Bergounioux (lecture presque en temps réel, à distance, me le distille) et l'Autobiographie des objets de François Bon (tous deux fortement conseillés si ne les avez pas), m'offrant la compagnie de quatre ou cinq objets chaque soir, pour mieux les déguster, en découvrant certains, en retrouvant ce que j'avais lus, que j'avais aimés, en suivant leur publication sur Tiers.livre (où ne sont plus, je pense) http://www.tierslivre.net/ et que j'ai parfois évoqués.
Et ce mardi, au petit jour, dans le demi-sommeil entre deux de mes venues au jour, ne sais trop pourquoi, s'est invité le poste radio qui est arrivé tardivement dans la famille, et il a entraîné avec lui d'autres objets, qui lui étaient liés de façon apparemment anarchique, mais s'emboîtaient comme des poupées gigognes... me laissant une envie de reconstituer ce petit voyage intérieur, quel qu'en soit l'intérêt.
Assez loin, en fait, du livre de François Bon, qui, entre autres, évoque son, notre histoire à travers ces objets que l'on ne remarque plus, qui sont apparus un jour, qui ont fait en sourdine l'histoire de sa famille, mais aussi de notre société, en se servant, pour retrouver cette mémoire, des sons, des odeurs, du toucher - rendre présence à l'objet et dévider ce qu'il entraîne avec lui.

Mais comme je n'ai presque pas de photos de l'enfance ou l'adolescence (ou de la suite, à vrai dire, jusqu'à maintenant), comme il me reste peu des objets aimés ou familiers autrefois, comme je voulais deux ou trois photos pour animer ou ponctuer ce qui va être très long, me suis rabattue sur ma timbale, cabossée un peu - mais c'est une raison de l'aimer - anormalement grande aussi, qui m'est importante, que j'ai toujours considérée à la fois comme mienne et comme un dépôt, qui est tout autant la timbale de campagne de mon grand père, passée à ma mère, et qui était, pour elle, le vase voué à une petite table volante que je me suis fait voler, et aux roses ou fleurs très épanouies, se dépouillant peu à peu de leurs pétales chutant sur la petite marqueterie et les tous petits brimborions en argent, pendant que je cultivais mon ennui et mon goût de la lecture en paix sur le canapé du salon, au temps de la première et de l'appartement dominant la rade (et cela m'a rappelé qu'il est vraiment temps de faire mon argenterie)

C'était donc l'arrivée, juste avant le réfrigérateur et une voiture me semble-t-il, de la radio, de quatre disques : la petite musique de nuit, des concertos de Corelli, je ne sais plus quoi et la découverte de Brassens, du petit cheval dans le mauvais temps, et les questions que me posais en écoutant le gorille... (et d'autres disques à la suite, bien sûr, mais j'attendrai plusieurs années avant d'avoir les miens) - je devais avoir 9 ou dix ans – il était installé au salon, à notre disposition quand nous y avions accès (le plus souvent, surtout dans la journée, quand ma mère ne recevait pas des amis, et j'étais alors, l'âge venant, derrière la porte, cherchant un prétexte pour entrer, m'incruster, écouter ce qui se disait, et parfois jouir de la présence d'un adulte dont j'étais amoureuse – une vraie plaie).
Un de ces grands postes rectangulaires, avec un tourne disque sur le dessus, qui duraient des années, et je me revois assise sur les tomettes, dans l'appartement suivant, celui de «l'oflag», groupe d'immeubles habités par des officiers de marine, au dessus des plages du Mourillon, blottie contre le renfoncement où il était presque dissimulé, pour suivre avec passion, sans très bien comprendre, ce qui se passait à Alger, en 1958, en le complétant par ce que j'entendais dire, et les nouvelles de la famille.

Mais là, au début, c'était au temps du bâtiment J, le premier d'une série d'immeubles en quinconce (n'existaient pas encore les grands carrés blancs, les arbres non plus d'ailleurs), simples et plutôt réussis – avis de la Brigetoun actuelle, en les revoyant dernièrement - construits par la Marine, habités par des ouvriers et contremaîtres de l'Arsenal, sauf le nôtre - et nos mères nous laissaient jouer devant, entre nous, un peu à part des autres - notre première adresse à Toulon après un hébergement assez long chez une vieille dame, que je craignais et n'aimais pas, sans raison autre que le fait qu'elle n'était pas nous, et son amour exclusif ou presque pour son troupeau de chats, dans un grand jardin (dans la brume de ma mémoire, de fausses ruines en béton armé que nous finissions de désagréger en y jouant – et un immense tableau qui dominait mon lit et me donnait des cauchemars).
Notre première bande toulonnaise, le bâtiment J, le clan des enfants – et l'apprentissage des échecs (me suis empressée d'oublier) pour tenir compagnie à un très beau et radieux garçon allongé avec une jambe cassée, mal réparée, opérée etc... avec la gourmandise des goûters que nous servaient sa mère, la belle Mme D que j'admirais – et je prenais très mal, comme ma mère, les blablas la critiquant parce qu'elle ne portait pas le deuil.
Souvenir aussi du jour où on a sonné, où ma mère, arrivant pour accueillir le visiteur que nous avions fait entrer, est devenue blanche (enfin ça je le reconstitue) en voyant un officier en uniforme, casquette sous le bras... Il venait lui demander de l'accompagner chez Madame D, paniqué de lui annoncer que son mari venait de sauter sur une mine... et ne savait pas que mon père était, comme lui, en Indochine.

L'Indochine et les autres campagnes (d'où l'auto etc...) qui faisaient de lui un être merveilleux, désiré – et, j'en étais certaine, infiniment plus compréhensif que ma mère avec laquelle j'entamais notre guerre mère-fille qui, pauvre d'elle, ne faisait que commencer.
La grande photo ensoleillée, où il souriait, un peu penché en avant - et Gaby prétendait qu'il la suivait des yeux quand elle balayait – où je le trouvais si beau (j'ai eu, en philo à Paris, dans mon portefeuille d'adolescente, une petite photo que je laissais voir à la dérobée pour qu'on croit que c'était celle d'un ami), posée sur la commode du salon (tiens elle est chez qui elle ?) sous la grande lampe que ma grand mère avait fait faire, à Hanoï, à partir d'un beau vase bleu et blanc choisi par un connaisseur, lors de leur dernier séjour, quand mon grand-père commandait le corps expéditionnaire – un grand oiseau étrange se déployant sur un fond un peu craquelé - vase que le dernier a cassé un jour par ma faute, je n'avais pas fermé la porte.
Et du vase, dans mon demi sommeil, j'en suis arrivée, avant de me décider à balancer hors du lit, à mon jade, la bague que ma mère a choisie pour moi, peut-être pas celle qui a le plus de valeur, mais celle qui me fascinait – le plaisir de sa forme et des très légères variations du vert - et que j'osais manier comme les fantaisies, quand nous fouillons dans ses bijoux, parce que la pierre, achetée à Pékin pour sa naissance, a été montée à Hanoï pour ses dix-huit ans, lors du premier séjour en Indochine de mes grands parents. Voilà, voilà... ça pourrait continuer, mais la honte me vient.

12 commentaires:

Francis Royo a dit…

En vous lisant, rempli d'émotion, je me demande si ce sont nos vies qui sont cabossées comme la timbale de votre enfance ou bien nos souvenirs. Les deux sans doute. L'important est que nous ayons toujours ce beau geste d'aimer, qui nous vient de très loin, et qui brûle encore au creuset de notre mémoire.

Dominique Hasselmann a dit…

La timbale résonne comme l'instrument de musique...

Michel Benoit a dit…

ACB ?

Brigetoun a dit…

c'est AGB et je m'interroge aussi, devait avoir eu un propriétaire avant = B est bien l'initiale du nom de famille de mon grand père maternel

jeandler a dit…

L'ABC d'une vie, reste la timbale. Un livre qui appelle un autre livre, déjà en partie écrit et qui tous les jours apporte une nouvelle page...

arlette a dit…

Aie!!! la timbale cabossée éveille grande résonance en chacun de nous
Echos également d'un temps quand chaque objet devient une histoire
Pas de honte
Merci infiniment aurait dit ma grand'mère en un sourire si doux

JEA a dit…

la timbale moins périssable qu'une madeleine...

Pierre R Chantelois a dit…

Une réflexion profonde qui nous touche. D'autres l'ont dit avant moi. Je suis au bord de la mer pour quelques jours. Le calme. Et je viens lire ces mots, cette profonde pensée sur la vie. (...) et nos mères nous laissaient jouer devant, entre nous, un peu à part des autres (...) (...) une vieille dame, que je craignais et n'aimais pas, sans raison autre que le fait qu'elle n'était pas nous

joye a dit…

Pourquoi la honte, chère auteure ?
Surtout à ton niveau d'écriture, au contraire, cela doit être la fierté, ma chère !

Brava !

joye a dit…

Tu penserais que j'aurais pu absorber un peu de cela depuis le temps que je te lis...eh ben, non, hélas !

czottele a dit…

pas de dérive pas de honte surtout très chère Brigitte,ce billet bouleversant où tu remontes le courant pour plonger dans l'enfance par la magie d'une timbale, ça coule de source pour nous aussi... pas la même histoire bien sûr mais la même guerre mère-fille et une bague aussi choisie par elle pour moi (ambre) et une photo du père au soleil, bref, merci et encore... oui encore...

Anonyme a dit…


Quel talent d'écriture, j'ai imaginé sur vos mots, les visages et les objets cités. Un côté désuet, nostalgique, mélancolique aureole ces écrits.
J'ai pensé au beau livre d'Annie Ernaux - LES ANNEES.
Merci pour ce partage.

Flore