Un lundi sous un ciel de
lumière douce et splendide, qui m'a propulsée dans les rues du
quartier pour médicaments, cigares, et croûtons, et moins
sérieusement, dans la liesse de l'air à peine piquant, deux
nouveaux santons des oncles Fontanille à ajouter aux deux autres,
trop chers (pourtant j'en ai négligé un, qui me séduisait, mais
dépassait les moyens de ma pire folie insouciante) choisis l'autre
jour chez leur nièce Isoline – et qui, après cet exploit, s'est
déroulé dans un état de tranquille somnolence contre laquelle ai
lutté pour vaquer un peu comme pouvais, et reprendre mes photos et
souvenirs comme l'ai pu (avec aussi des retours au catalogue, que je
reprends souvent, sans complexes, quand me sert, à travers le texte
d'Eric Mézil, en italique) :
après l'arrêt rituel sur
le palier aux miroirs (je ne sais plus quel en est l'auteur) et le
moment de narcissisme/cache-cache avec lumière fusant pour nier ma
gueule que ne saurais supporter,
descendre une volée
d'escalier, face à Rania de Jordanie, grande aquarelle très noire
de Yan Pei-Ming
avant de trouver, dans les
petits passages suivants, son époux (couple peut-être en sursis)
et le couple syrien, dont
la chute est programmée, dans la réalité ou, à tout le moins,
dans nombre d'espoirs
et puis, dans un coin,
sans recul, tomber sur un qui a chu (intitulé last gasp),
visages en cours de désintégration.. entre la vie et la
mort, entre la lumière et l'ombre, et
les lèvres de Kadhafi sont rougies par un dernier souffle.
À
côté s'ouvre la protestation sans tapage, douce et implacable, des
femmes avec la beauté qu'offre Shirin Neshat, iranienne réfugiée
aux États Unis, qui montre ces femmes voilées tout à
leurs rêves de liberté, ces femmes endeuillées si proches des
antiques pleureuses qu'Iphigénie invoquait pour en appeler à la
justice des Hommes et non à celle des dieux colériques... Par ses
photographies et ses films elle montre
un univers uniquement féminin : des femmes vêtues de
noir...
avec,
impossible à photographier, une grande salle (et comme je n'avais
sur plusieurs photos qu'une mauvaise évocation du dispositif, j'ai
tenté de rephotographier les captations, un peu floues, du
catalogue) où on est pris, dans le noir, entre quatre grandes vidéos
sur lesquelles on voit (en décalé) une femme au voile noir ondulant
au rythme de sa marche précipitée, monter des escaliers, se glisser
derrière des colonnes bordant une rue, parcourir des espaces
déserts ou longer des groupes d'hommes indifférents – c'est
vaguement oppressant, très esthétique aussi.. et cette négation
noire est en fait toute puissante, tranche, s'affirme..
… vêtues de noir ont
les mains ou le visage couverts de messages de paix
Dans
la grande pièce blanche et aveugle du premier étage de l'aile
latérale où nous sommes descendus, sont accrochées, prêtées par
une galerie libanaise et une de Hambourg, les photos de Walid Raad
pour I Think It Would Be Better If I
Could Weep
qui
parlent avec pudeur et sans éclat
d'une mémoire d'un passé récent et encore si prégnant qui vit
l'irrémédiable destruction de la ville de Beyrouth par les bombes
et les obus et
les combats de rue, écho (qui se reproduit d'ailleurs) de ce qui est
maintenant l'actualité de la Syrie voisine, et jamais tout à fait
étrangère, les politiques des différents états de la région,
surtout peut-être dans ce cas, interférant.
et
puis, au bas du petit escalier aux miroirs noirs, contre la grande
vitrine sur la rue, sur une longue table, belles comme de gros
éléments de parures et jouant sur les deux sens du mot, les
grenades en cristal de Mona Hatoun.
Continuant
à oublier ou négliger des oeuvres, et parfois ce fut en effet
passage rapide presque sans voir, mon attention faiblissant) ne
pouvais manquer, ils sont grands et s'imposent, le long du mur face à
la cour, l'alignement des hauts panneaux de Djamel Tatah, la rangée
de hittistes algériens, ces hommes
jeunes et beaux qui, dépourvus de travail et d'avenir, traînent
dehors jusqu'au coucher du soleil, tiennent
les murs avec leurs dos.
Pour
sortir de la salle, le long du petit plan incliné en bois vers le
rez-de chaussée du bâtiment principal, la participation d'Adel
Abdessemed qui a choisi une esquisse de
ses trois christs.. réalisés en barbelé qui reprennent
l'expression du Christ peint par Grünewald pour le retable
d'Issenheim...
Puis il sélectionna la
maquette et la vidéo jamais présentée en France d'un chemin de
croix réalisé dans la villa Médicis, avec pour toile de fond les
toits et la coupole du Vatican.
projetée à côté d'études d'Ingres pour Jésus
parmi les docteurs têtes
enturbannées qui introduisent à la salle noire, sas vers les salles
sur le boulevard,
où
est projetée (et ne suis pas restée aussi longtemps que l'aurais
voulu, mais la lassitude venait) les Croisades
vues par les Arabes de
Waël Shawky, égyptien, reprenant le texte d'Amin Malouf avec des
marionnettes tirées par des fils (ai pensé à celles de Sicile)
dans des décors de carton – ces
scènes sont autant de mises à distance face aux effroyables
massacres perpétués au nom de Dieu par
les croisés.. et les luttes avec l'intervention de la secte des
Assassins. (plaisir des très longs passages du texte d'Amin Malouf repris dans le catalogue)
Boudiou,
j'exagère... bon vais accélérer, d'ailleurs parmi les oeuvres
j'en ai négligé, certainement à tort, un bon nombre.. je me
souviens d'autres que j'ai trouvé marquantes mais dont n'ai pas
gardé trace, et puis il doit y avoir des limites à mon verbiage,
alors je me borne à ce que j'ai photographié, hors de surveillance
(absence parfois gentiment complice me semble-t-il), dans les salles
sur le boulevard, avec Moataz Nasr et 18
Days, 2011 installation
à partir de tracts, panneaux etc... récoltés place Tahir
Paul-Armand
Gette et son loukoum rose d'Aziyadé
le mur
couvert, comme un tapis, des gouaches d'Emir El Qiz costumes
d'apparat de la première délégation ottomane dans la Cité Papale
et leur joli sourire
et
puis, dans la petite salle, avant de sortir par la librairie et en me
frayant un passage à travers le cocktail qui avait envahi le hall,
à côté de Black board Cyprus de
Michal Royner, stèle très fine de pierres, verticales de tons plus
ou moins foncés, entre lesquelles cheminent les toutes petites
silhouettes noires d'une vidéo, il y a, pour clore, pour tenter de faire liaison, le bateau, la
barque d'Adel Abdessemed drawing for hope
qui
répond aux Combas accrochés dans le grand escalier que l'on monte
en arrivant et à son Ahmed (travailleur
immigré) entreprend son patron sérieusement (souhait
peut être un peu excessivement fort...)
Voilà,
voilà... me reste à retourner, très éventuellement voir ce que
j'ai loupé, et plus certainement, car désir j'en ai vraiment, aux
Célestins pour lesquels Douglas Gordon et Adel Abdessemed ont conçu
des vidéos.